Chapitre 29
Comme Bones avait dû faire semblant d’être faible pour pouvoir découvrir l’identité du traître, il n’avait pas passé beaucoup de temps avec le prisonnier qu’il avait aidé à capturer lors de l’embuscade du train : Anubus, le bras droit de Patra. D’ailleurs, Anubus avait presque été délaissé après le chamboulement causé par le retour de Bones, même si j’étais sûre qu’il ne se plaignait pas du manque d’attention dont il faisait l’objet. Il parut même presque surpris devoir quelqu’un lui rendre visite dans sa cellule.
C’était la première fois que je le voyais moi aussi, car je ne comptais pas la fois où Ian, Rodney et Spade étaient revenus avec lui – mais sans Bones – en hélicoptère. Anubus était grand pour un Égyptien, il mesurait largement plus d’un mètre quatre-vingt-dix, et ses longs cheveux raides, tout comme ses traits prononcés, trahissaient ses origines. Son attitude était loin d’être celle d’un prisonnier attendant une condamnation sans appel. Il semblait presque détendu, même s’il était suspendu par des menottes à un mur d’acier.
Il me jaugeait de son regard ténébreux de la même manière que je l’étudiais. Froidement. La première lueur de trouble apparut lorsque je me poussai pour laisser apparaître l’homme qui était derrière moi.
— Tiens, salut, Anubus. La vache, ça doit faire plus de cinquante ans qu’on ne s’est pas vus. Tu te rappelles, je venais de rencontrer cette fille très directe qui m’avait emmené dans son chalet et qui m’avait demandé de la baiser jusqu’à ce que j’en devienne presque impuissant. Je crois qu’elle n’a pas bougé une seule fois du début à la fin, et pourtant ça a duré des heures, non ? Tu sais quoi, si le matelas avait eu un trou de la même taille, j’aurais eu plus de plaisir à y enfiler ma queue…
Un hurlement de rage couvrit le reste de sa phrase. Je réussis à ne rien laisser paraître. Bones m’avait avertie de là tactique qu’il comptait utiliser pour provoquer Anubus – ce dernier considérait Patra comme une déesse – mais j’avais insisté pour être présente. Visiblement, il n’avait pas menti lorsqu’il m’avait dit qu’il n’allait pas hésiter à entrer dans les détails pour énerver l’autre vampire.
— Tais-toi, vermine ! Je n’arrive pas à croire que tu sois encore en vie, mais ça ne durera pas. Tu ne mérites même pas de brûler dans les flammes de l’au-delà !
— Oh oh, ricana Bones. J’en déduis que même après tout ce temps, elle ne t’a toujours pas laissé goûter un échantillon ? Tu n’as rien perdu, mon pote, crois-moi. « Médiocre » est le terme le plus flatteur qui me vienne à l’esprit pour décrire ce qui se trouve entre les jambes de cette bonne femme. J’en arrive à me demander pourquoi Mencheres s’est lié à cet ersatz de femme, mais, après tout, l’amour est parfois aveugle. Et platonique. En tout cas notre union l’aurait été si c’est moi qui l’avais épousée. En revanche, voici une vraie femme, dans tous les sens du terme. (Bones me poussa en avant.) Elle est plus passionnée dans son sommeil que ce tas d’argile égyptienne que tu vénères. Patra sait qu’elle ne fait pas le poids face à elle. N’est-ce pas pour cette raison qu’elle a tout fait pour la tuer ? Parce qu’elle savait que personne ne se laisserait abuser par sa prétendue supériorité une fois que le monde aurait aperçu Cat ?
— Vous mourrez tous, grogna Anubus. Patra est la réincarnation d’Isis et la déesse de ce monde. Elle règne depuis plus de deux mille ans, et ce ne sont pas des insectes plus vils que des sauterelles qui l’arrêteront !
— T’as besoin d’une bonne partie de jambes en l’air, mon pote, observa Bones avec magnanimité. Je parie qu’elle ne t’a même pas laissé t’astiquer un petit coup au cours de toutes ces années, pas vrai ? Elle veut que sa garde reste pure, et autres âneries du même genre, c’est ça ? Tes couilles débordantes t’ont embrouillé l’esprit, je te le dis. Ça fait combien de temps que tu as seulement vu une femme nue, hein ? Ça remonte à avant ou après la conversion de l’empereur Constantin ?
Ces provocations verbales étaient une tactique inhabituelle pour Bones, mais il s’était dit que cela valait le coup de la tenter. Ian, Rodney et Spade avaient déjà essayé d’autres moyens, tous plus déplaisants les uns que les autres, mais soit Anubus ne savait rien, soit il ne s’était pas montré d’humeur coopérative. En écoutant Bones énumérer les détails sordides de sa nuit avec Patra, Anubus devait éprouver les mêmes sentiments que le pape forcé de subir le récit des exploits sexuels de la Vierge Marie. Patra était loin d’être chaste, mais si elle avait eu des aventures, elle était restée discrète (sauf pour son histoire avec Bones, dont tout le monde semblait être au courant). Et il était de notoriété publique qu’elle se considérait comme l’héritière d’une lignée divine. Une grande partie de ses subalternes la vénéraient. Anubus entrait dans cette catégorie.
— Tu visualises la scène ? Mes mains sur Patra, mmmm, combien de fois y as-tu pensé ? Incapable de trouver le sommeil, submergé par l’envie de me tuer, pour découvrir au bout du compte qu’en fait je trouvais l’expérience assez… soporifique ?
En tout cas, nous avions réussi à capter son attention. Anubus était livide, et ses yeux brillaient d’une intense lueur verte.
— Tu n’es même pas digne de lui être sacrifié. Patra ne ta admis dans sa couche que pour te faire exécuter par son époux, mais même là Mencheres n’a pas été à la hauteur. Elle aurait dû me laisser t’achever cette nuit-là, conformément à mon souhait.
Bones rit de nouveau, mais plus bas.
— Tu crois que Patra était la première fille à coucher avec moi dans l’espoir de causer ma perte ? Eh bien, tu te trompes. On m’avait déjà fait le coup avant, et on me l’a refait très souvent après. Donc désolé de te décevoir, mais ce n’est pas pour cette raison que Patra manquait d’entrain au lit. C’est parce qu’elle vit dans l’imposture, dans la tromperie, et qu’une fois dépouillée de tous ses mensonges – et de ses vêtements – elle n’est rien de plus qu’une petite fille gâtée dont la folie des grandeurs est renforcée par des idiots dans ton genre.
— La Tombe t’appelle ! rugit Anubus, qui avait perdu toute contenance. Elle l’a invoquée, et elle te trouvera et t’engloutira avec un appétit insatiable…
Il s’était brusquement interrompu. Je n’avais pas besoin de regarder Bones pour savoir qu’il souriait. Puis il se redressa, soudain sérieux. Le visage d’Anubus se ferma, mais c’était trop tard. Tu as merdé, l’ami, et tu le sais.
— Tiens donc, mon pote, dit Bones en s’approchant d’Anubus et en posant un doigt sur son visage avec une délicatesse trompeuse. Qu’est-ce que tu entends par là ?
— On débouche le champagne, ou on attend que les mecs arrivent pour les asperger ? demanda Denise.
Nous étions assises au salon, une pièce formelle aux tons couleur terre et parsemée de vieux meubles dorés. L’énorme table semblait avoir été taillée dans un tronc géant. Elle était recouverte de nourriture présentée dans des plats en cuivre et en argent massif, mais personne ne mangeait vraiment. En entendant la question de Denise, j’arrêtai de pianoter sur la surface polie de la table et levai les yeux vers elle.
— Hmm ? Oh, vas-y, fais sauter le bouchon, ils en ont pour un bout de temps.
Si j’étais là plutôt qu’au sous-sol, c’était pour deux raisons. Premièrement, je ne voulais pas laisser Denise et ma mère seules avec des inconnus pendant cette fête et, deuxièmement, même s’il ne m’avait pas expressément demandé de partir, je devinais que Bones ne souhaitait pas me voir en bas. À présent qu’il savait qu’Anubus nous cachait bien quelque chose, il n’allait plus le ménager. Cela me dérangeait que Bones croie que mes sentiments à son égard risquaient de changer si j’étais témoin de ce qu’il allait faire subir au prisonnier, mais je ne voulais pas qu’il se déconcentre à cause de moi. Pas quand des vies dépendaient peut-être de la rapidité des aveux qu’il tirerait d’Anubus.
Denise versa le champagne.
— Il est excellent, s’enthousiasma-t-elle. La vache, on ne manque vraiment de rien, ici. Tu as vu tout ce brandy ? Si on reste trop longtemps, il va me falloir un nouveau foie !
Sa bonne humeur me fit sourire, mais le cœur n’y était pas vraiment. Non, elle n’avait aucune idée de la manière dont les choses étaient en train de tourner au sous-sol. Si tu continues à fréquenter des vampires, songeai-je, tu apprendras qu’ils ne sont pas seulement adeptes des fêtes et des grands crus.
Mais je gardai cette pensée pour moi.
— Tiens, remplis mon verre. Il reste deux heures avant minuit, on ferait aussi bien de commencer la fête. La dernière fois que j’ai vu Zéro, il m’a dit qu’ils faisaient des progrès, mais sans me donner de détails.
Pendant que Bones, Mencheres, Spade, Vlad, Rodney et Ian étaient en bas, Tick-Tock et Zéro nous servaient de gardes du corps. Nous n’aurions même pas pu nous cogner un orteil sans que l’un des deux bondisse pour venir à notre secours.
— La neige s’est calmée, annonça ma mère. Au moins, on peut enfin admirer la vue. J’ai vraiment hâte de quitter ce désert… et entre nous, je sens que je n’aurai pas à attendre très longtemps.
Aïe aïe aïe, c’est parti, songeai-je. Certains vœux ne s’exauceraient donc jamais, même au Nouvel An.
Je soupirai.
— Si c’est le fait d’être entourée de vampires et de goules qui te déplaît, dis-toi que ce serait encore pire s’il s’agissait des vampires et des goules de Patra.
— Je ne suis plus une enfant, Catherine, rétorqua-t-elle avec sa rudesse habituelle. Ne me parle pas comme si j’avais dix ans.
La tension des derniers jours me rattrapa. Pourtant, j’étais bien placée pour savoir que le plus sage était de me taire.
— Tu n’es pas une enfant ? Première nouvelle ! Tu as passé la majeure partie de ma vie à te conduire comme une gamine.
Denise resta bouche bée en entendant ma riposte. Elle avala précipitamment son champagne et se cala de nouveau dans son fauteuil pour mieux profiter de la scène.
— Cette fois c’est la goutte d’eau, rétorqua ma mère, furieuse. Je m’en vais.
Je n’apprendrais donc jamais à fermer mon clapet ? Résignée, je la suivis alors qu’elle se dirigeait d’un pas résolu vers la porte d’entrée et qu’elle attrapait un manteau.
— Maman, sois raisonnable. Il fait - 15 dehors, tu vas mourir de froid. Et où comptes-tu aller, d’abord ?
— J’en ai assez de tout ça, cracha-t-elle. « Va là-bas, fais ci, ne bouge pas, pauvre petite mortelle, ne te mêle pas des affaires des grands ! » Ras le bol de me faire trimballer dans tous les sens comme si j’étais un jouet !
Pendant sa tirade, elle m’avait écartée de son chemin et avait commencé à traverser la pelouse à grands pas. Je ne l’arrêtai pas, en partie parce que je ne voulais pas user de la force contre elle, mais aussi parce que nos différends seraient plus faciles à résoudre sans personne autour de nous. Le salon n’était pas du tout l’endroit pour ce genre de règlement de comptes familial.
— Tu te trompes, maman, dis-je en essayant d’ignorer la morsure du vent. (Je n’avais pas pris le temps d’enfiler un manteau, et le froid me transperçait à travers mon pull et mon pantalon.) Est-ce qu’il m’arrive de ne plus te supporter ? Oui. Est-ce que j’aimerais que tu ne fasses plus partie de ma vie ? Bien sûr que non. Bon, maintenant, rentrons à l’intérieur, il fait un froid de…
— Je marcherai jusqu’à la maison, la rue ou la ville la plus proche, dit-elle d’un ton sec, pas le moins du monde attendrie.
Nous arrivâmes aux arbres ; la lumière de la lune parait la couche de neige d’un reflet argenté. Mon souffle se changeait en panaches de fumée dans l’air glacial.
— Il n’y a rien à la ronde avant au moins trente kilomètres, lui fis-je remarquer sur un ton calme. Crois-moi sur parole, je le sais. Mencheres n’a pas choisi cet endroit par hasard. Tu ne pourras jamais marcher aussi longtemps, tu tomberas en hypothermie avant d’avoir fait cinq kilomètres. On est au milieu de nulle part, il n’y a rien aux alentours…
Je me tus et me figeai, mais pas à cause de la température. Je saisis ma mère d’une main ferme et l’empêchai de faire un pas de plus. Furieuse, elle se retourna avant de s’arrêter en voyant l’expression de mon visage.
— Quoi ? murmura-t-elle.
— Chut.
Elle pouvait sans doute à peine les entendre, mais ils sonnaient encore beaucoup trop fort à mon goût. Cela dit, notre échange ces cinquante derniers mètres n’avait pas été très discret. Pas plus que ne l’était l’écho de ces pas lourds au loin, qui dérangeait le silence de la nuit.
Je plissai les yeux et concentrai toute mon énergie sur ces bruits. Ni battements de cœur, ni respiration, ni crépitement de puissance. Ils se déplaçaient lentement. Et ils étaient très nombreux. Pourquoi ne ressentais-je rien ? Les vampires ou les goules dégageaient une aura de puissance, mais là, rien. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ?
Sans attendre de le découvrir, je pris ma mère par le bras et courus vers la maison. Zéro et Tick-Tock étaient déjà sur le pas de la porte, les sens en alerte en me voyant revenir à toute allure.
— Faites descendre tout le monde au sous-sol, aboyai-je en poussant ma mère dans cette direction comme pour souligner mes paroles. Quelque chose arrive.
— Quoi ? commença Denise en se levant de son fauteuil.
Randy réagit plus rapidement, se dirigea vers elle et l’aida à se lever. Zéro leur indiqua l’escalier, aussi respectueux qu’à son habitude, mais il se fit pressant.
— S’il vous plaît, par ici.
Comme ma mère ne bougeait pas, je lui jetai un regard noir.
— Consciente ou évanouie, tu les accompagnes.
Elle marmonna quelque chose mais les suivit, les épaules raides.
— Tick-Tock, soufflai-je, les sens toujours à l’affût de cette nouvelle menace, va chercher Bones et les autres.
Deux minutes plus tard, Bones arriva, suivi de Spade et de Rodney. Je ne prêtai pas attention aux taches qui maculaient ses vêtements et lui montrai la fenêtre.
— Est-ce que tu les entends ? Je ne sens rien, mais ils sont nombreux. Et ils se dirigent droit par ici.
Bones plissa les yeux et scruta l’obscurité, des éclats émeraude dans le regard. Après plusieurs secondes, il laissa échapper un grognement.
— Je ne sens rien non plus, Chaton, mais ils piétinent le sol comme un troupeau d’éléphants. Quoi qu’ils puissent être, ils ne sont pas humains. Charles ?
— Je n’ai aucune idée de ce que c’est, Crispin. J’en ai des frissons partout, jusque dans les bijoux de famille.
Rodney jeta un regard aussi sinistre que compréhensif à Spade.
— On est deux.
— Bon. (Bones fit craquer ses jointures ; ses yeux étaient à présent complètement verts.) Préparons-nous à les accueillir. Il nous faut des couteaux, des épées, des arbalètes, des fusils… rapidement. On dirait que quelques-uns d’entre eux ont pris de l’avance sur le peloton. On ne va pas tarder à savoir ce qui nous rend visite.
— Pourquoi est-ce qu’on ne s’enfuit pas ? demandai-je tandis que nous nous dirigions vers l’arsenal.
— Parce qu’on n’a pas assez d’hélicos pour évacuer tout le monde, et que si on part en voiture, on tombera peut-être dans une embuscade. On va se défendre, ma belle. Faire face à ce qu’on doit affronter. L’hélico se tiendra quand même prêt, au cas où. Au besoin, tu pourras emmener ta mère, Denise et Randy en sécurité.
— Je ne te laisserai pas, dis-je. Quoi qu’il arrive.
Bones soupira tout en répartissant une charge d’une quinzaine de kilos d’armes en argent sur son corps.
— Allons, Chaton, ils sont humains, et donc plus faciles à tuer. Les morts-vivants peuvent…
— Pas question, rétorquai-je sur le même ton raisonnable que lui. Juan sait piloter et je suis plus forte que lui. Ce serait lui le meilleur choix si leur évacuation se révélait nécessaire. Et si tu envisages de me faire un coup en douce, comme m’assommer et me mettre dans l’hélico de force, je reprendrai mon travail à plein-temps, et je choisirai des missions qui achèveront de blanchir tes cheveux.
Bones me donna un baiser furtif mais intense.
— Satanée bonne femme. T’as aussi appris à lire dans les pensées, on dirait. Très bien, équipe-toi et change-toi. Ton pull est trop épais, il gênera tes mouvements.
Je me contentai de l’ôter et me retrouvai en soutien-gorge, en pantalon de jogging et en baskets. Je n’avais pas le temps de monter dans la chambre pour trouver un haut plus adéquat. Je commençai à attacher des couteaux en argent autour de mes jambes, de ma taille et de mes bras à une vitesse qui trahissait une longue habitude de cet exercice.
— Tu as vraiment l’intention de n’en faire qu’à ta tête, hein ? demanda Bones en me tendant une épée. Prends-en une, on ne sait pas ce qu’on doit tuer, l’argent sera peut-être impuissant. Tu vas geler comme ça, Chaton.
— Est-ce que ce n’est pas le cadet de nos soucis ? dis-je avec un rire plus forcé qu’amusé. Ça me donne une totale liberté de mouvement, c’est le plus important.
— Tu as absolument raison.
Bones ôta son propre pull et le jeta par terre à côté du mien. La plupart des vampires et des goules l’imitèrent. Leurs torses nus brillaient sous la lumière du lustre alors que tout le monde s’équipait d’armes. Pendant ce temps, les pas se rapprochaient de la maison.
Mencheres arriva. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps, mais il avait de toute évidence entendu ce qui se passait, car il était lui aussi recouvert d’armes de la tête aux pieds.
— Déployons-nous sur la pelouse, on commencera par surveiller un périmètre extérieur, et on se repliera dans la maison au besoin, dit Bones. Zéro, rassemble les humains et installe-les dans les cellules du sous-sol, c’est l’endroit où le blindage est le plus solide. N’hésite pas à recourir à la force pour faire obéir les plus récalcitrants, surtout sa mère.
J’aurais pu rétorquer une grossièreté, mais ce n’était pas le moment. Nous sortîmes de la maison en file indienne et nous déployâmes autour. Une fois dehors, la communication se fit par signaux, les vampires et les goules se déplaçant à une vitesse qui aurait fait le bonheur de tout chef militaire digne de ce nom. Bien entendu, c’était surtout contre des chefs militaires qu’ils usaient de leurs talents. Après tout, c’était en forgeant qu’on devenait forgeron.
Le vent glacial me fit frissonner. Oui, il faisait extrêmement froid, mais je n’en mourrais pas, et l’hypothermie ne me faisait pas peur. Après tout, j’étais à moitié vampire, et mon sang ne pouvait pas geler. Toutefois, cela ne m’empêchait pas de souhaiter être aussi bien immunisée contre le froid que mes compagnons. Les vampires et les goules n’aimaient pas le froid, mais j’étais la seule à claquer des dents.
— Ça va, ma belle ? me demanda Bones sans détourner les yeux des arbres qui se trouvaient devant lui.
Nous étions au beau milieu du terrain du côté de la façade, et j’espérais que cela ne faisait pas de nous une cible idéale.
Je serrai les dents pour les empêcher de claquer.
— J’arrêterai de jouer des castagnettes quand l’action commencera.
Je sentis un mouvement à côté de moi. Tate se glissa près de moi sans un mot en poussant Spade d’un coup d’épaule.
— Laisse-le, dit Bones alors que Spade s’apprêtait à le repousser. C’est à ça qu’il sert.
Tate allait peut-être répondre, mais il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit. Au moment où il ouvrait la bouche, la première des silhouettes mystérieuses sortit des arbres et l’empêcha de répliquer. Bones se raidit et devint aussi froid et rigide que les stalactites qui pendaient du toit. Spade laissa échapper un sifflement sourd, et quelqu’un marmonna quelque chose qui ressemblait à une prière.
— Dieu tout-puissant, murmurai-je, encore plus glacée qu’auparavant. Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ce fut Mencheres qui répondit. Il arrivait derrière nous et haussa la voix pour être entendu malgré le grognement soudain de la chose qui se mit à courir, ses lèvres à moitié pourries s’ouvrant et se refermant de manière obscène.
— C’est la Tombe, répondit-il.